Le pont à bascule

02/08/2022

Les promeneurs seront peut-être charmés, en traversant Le Theil à pied, par une curieuse petite construction en briques, isolée parmi les arbres, devant la Mairie. Une sorte de maison en réduction, dont le toit orné de frises fait penser aux chalets construits à Vichy après 1860, à l’instigation de l’Empereur Napoléon III.

Est-ce la demeure d’une séduisante fée, et de ses petits lutins ?

Une plaque en fonte, apposée sur le pignon est, dissipe ce rêve d’enfant : « Pont bascule-vérificateur. La société anonyme de construction de Voiron Isère est seule propriétaire des brevets Guillaumin. » Un regard curieux par une  des fenêtres confirmera cette destination : le mécanisme de pesage du pont-bascule est toujours là, ainsi, à l’extérieur, que la plate-forme destinée à accueillir remorques et bestiaux.

Ce pont à bascule (et donc  la coquette petite construction) a été édifié à l’origine, sur le domaine communal, pour les besoins de son activité par M. Louis Voisin, grainetier et marchand de farines qui demeurait non loin, Grande Rue, en vertu d’un traité passé avec la municipalité, et approuvé par le Conseil Municipal le 17 novembre 1895. L’installation, d’une capacité de 5 tonnes, avait été effectuée par la Société anonyme Construction de Ponts à bascule, siège à Voiron.

Une fois l’installation achevée, et testée pendant cinq ans par Monsieur Voisin, la Commune du Theil a décidé, conformément au traité précité conclu avec M. Voisin, de lui racheter  par délibération du 11 novembre 1900, M. Gilbert Petitalot étant maire, moyennant le prix de 2 600 francs (francs de l’époque). Ce financement a été assuré par un prêt de même montant accordé sur 20 ans par la Caisse des Dépôts et Consignations. La vente a été constatée par convention passée à la Mairie le 14 août 1901.

Au fil du temps, la bascule de 5 tonnes, mise en régie pour son exploitation, s’est peu à peu déréglée, pesant de façon irrégulière pour le bétail de poids inférieur, causant ainsi préjudice tant aux vendeurs qu’aux acheteurs venant l’utiliser. Après discussions multiples, et propositions de la SA de Construction de Ponts à bascule de Voiron, le Conseil Municipal (M. Albert Mercier étant maire) a décidé par délibération du 15 novembre 1936, de faire réparer la bascule existante de 5 tonnes, et de faire installer, au côté opposé à celle de 5 tonnes, une bascule supplémentaire de 1 500 kg, dite pèse-bétail, pour les pesées inférieures. Le tout devait en définitive coûter 6 000 francs à la Commune, financé par un emprunt remboursable en 10 ans au taux de 4,50 %, couvert par les recettes du pesage. Les deux bascules étant mises en régie comme précédemment.

Cette nouvelle installation a donné pleine satisfaction jusqu’à ce que, les années passant toujours inexorablement, une usure normale et une inadaptation à l’évolution du marché agricole, l’ait rendue hors d’usage après la Libération. C’est pourquoi le Conseil Municipal (M. Albert Bertin étant maire) a décidé, par délibération du 4 octobre 1953, d’acquérir un nouveau pont-bascule, cette fois-ci de 10 tonnes. Et il a sollicité le concours technique et financier des services départementaux du Génie Rural, notamment pour l’aider à trouver un fournisseur aux meilleures conditions. Ce concours a été accepté, et le service du Génie Rural a rédigé un mémoire en vue d’appuyer une éventuelle demande de subvention.

On lit dans ce document que les principales ressources de la Commune provenaient des céréales et de l’élevage. La Commune comptait alors 114 exploitations (dont 22 de plus de 50 ha). Le cheptel  total était constitué par 220 chevaux, 3 213 bovidés, 326 ovidés (sic), et 2 823 porcins. Les animaux étaient vendus soit à la ferme, soit aux foires du Montet, de Montmarault ou de St-Pourçain-sur-Sioule. Il était d’un intérêt certain pour les propriétaires d’être renseignés avant la vente sur le poids de leurs bestiaux. Il était également intéressant pour les agriculteurs de se rendre compte du poids des fourrages vendus, de la paille, etc…, et le pont à bascule devait pouvoir peser les voitures à cheval et les remorques (il n’était pas évoqué encore les véhicules à moteur ! )

C’est à nouveau la SA de construction de Ponts à bascule de Voiron qui a remporté le marché, et par délibération du 11 décembre 1954, le Conseil municipal a accepté l’offre de cette Société de lui fournir un pont à bascule de 10 tonnes.

Les travaux de cuvelage (creusement d’une nouvelle fosse, son terrassement et maçonnerie) ont été confiés à M. Aimé Plamendon, entrepreneur de maçonnerie au Theil. Et les travaux métalliques d’encadrement et de clôture à M. Marcel Laronde, entrepreneur en maréchalerie et machines agricoles au Theil.

Le pont-bascule de 10 tonnes a été livré en gare de Tronget courant février 1955, et la réception définitive des travaux d’installation a été effectuée le 25 septembre 1955.

Le total des dépenses de ce nouvel équipement a représenté  un total de 750 000 francs (toujours francs d’époque), dont notamment 425 000 francs de pont à bascule proprement dit, 204 315 francs de cuvelage, 75 000 francs d’aménagement du kiosque-abri existant, et le reste en divers travaux.

Le financement de ces dépenses a posé quelques soucis. Les ressources nécessaires devaient initialement provenir à titre principal d’un prêt par le Crédit Agricole, et  d’une subvention du Ministère de l’Agriculture ; et des fonds communaux pour le reliquat. Malheureusement, par ce qui a ressemblé à un mauvais tour de passe-passe, la Commune du Theil a été évincée du programme d’investissements agricoles de 1955, et elle n’a pu obtenir  ni la subvention, ni le prêt qui devait lui être attaché. La Commune a donc dû financer elle-même le total sur le budget communal, suivant délibération du 21 mai 1955.

Certaines nuits sans lune, des voix fluettes sortent de la maisonnette : « bêê, bêê ! tout bien pesé, on est bien logé ici ! meuh ! meuh ! depuis plus de 100 ans ! le poids des ans n’est pas lourd ici ! »

Alors, un cinq à dix ? Ici, on en fait dix tonnes avec le sourire ! Et plus que des heures ! Hi Han !